Le président américain, Joe Biden, qui avait déclaré haut et fort sa volonté de reléguer l’Arabie saoudite au rang de « paria » durant sa campagne, effectue un virage à 180 degrés sur fond de flambée pétrolière.

Plusieurs médias américains rapportent que le politicien projette de rencontrer dans les prochaines semaines le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, après avoir longtemps refusé toute interaction directe avec lui en raison de son rôle allégué dans la mort du journaliste Jamal Khashoggi.

Un rapport des services de renseignements américains divulgué en janvier 2021 avait identifié le riche dirigeant saoudien comme le commanditaire de l’assassinat sordide du collaborateur du Washington Post.

Des sanctions avaient été annoncées par Joe Biden contre de nombreux membres de l’administration saoudienne soupçonnés d’avoir participé au meurtre tout en épargnant Mohammed ben Salmane, qui était dénoncé par de nombreuses organisations de défense des droits de la personne.

Explosion des prix

Joe Biden l’a ignoré pendant près d’un an, mais la donne a changé notamment en raison de la guerre en Ukraine qui a contribué à faire monter en flèche le coût du baril de pétrole et les prix à la pompe.

Son administration espère convaincre l’Arabie saoudite d’utiliser les capacités de production excédentaire dont elle dispose pour faire baisser les prix et offrir un répit à la population américaine, à quelques mois d’élections de mi-mandat cruciales.

Riyad a fait la sourde oreille pendant plusieurs mois aux demandes de Washington en insistant notamment sur la nécessité de maintenir les ententes conclues entre les pays membres de l’OPEP+, incluant la Russie.

La semaine dernière, l’organisation a cependant annoncé son intention d’accélérer la mise en place d’augmentations de production déjà projetées pour les trois prochains mois.

Kaushik Deb, un spécialiste du secteur énergétique rattaché à l’Université Columbia, note que l’annonce est un signe d’ouverture témoignant d’une « embellie » dans les relations entre les États-Unis et l’Arabie saoudite.

Il doute cependant que la décision ait pour effet d’infléchir véritablement les cours mondiaux du pétrole, notamment parce que plusieurs pays membres de l’OPEP+ ont du mal à atteindre les augmentations de production déjà prévues.

« L’impact sur les prix à la pompe sera marginal dans le meilleur des cas », note M. Deb, qui s’attend à ce que d’autres facteurs, comme la reprise de la demande chinoise postpandémie de COVID-19, pèsent lourdement dans la balance.

Une forme de « soumission »

L’idée d’un rapprochement avec Mohammed ben Salmane, quelle que soit son incidence sur le cours du pétrole, soulève la controverse aux États-Unis.

Sarah Leah Whitson, qui chapeaute Democracy for the Arab World Now (DAWN), une organisation fondée par Jamal Khashoggi, a déclaré dans une balado qu’une visite de Joe Biden à Mohammed ben Salmane représenterait une forme de « soumission » au dirigeant saoudien.

Des critiques proviennent aussi des rangs démocrates. Adam Schiff, qui préside le comité du renseignement de la Chambre des représentants, a déclaré dimanche sur les ondes de la chaîne CBS que la rencontre ne devait pas avoir lieu.

« Je ne serrerais pas sa main. C’est quelqu’un qui a massacré un résident américain, l’a coupé en morceaux d’une manière terrible et préméditée », a relevé le député.

Thomas Juneau, un spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa, note que le rapprochement entre Washington et Riyad était prévisible en raison de l’importance des facteurs liant les deux pays.

Mohammed ben Salmane a bien joué ses cartes. Il a été patient, il savait que les États-Unis reviendraient vers lui.

Thomas Juneau, un spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa

Washington a besoin du pétrole saoudien, note M. Juneau, mais compte aussi sur l’Arabie saoudite sur le plan géostratégique, notamment pour contrer les visées régionales de l’Iran.

Les plus récents développements dans le dossier reflètent aussi les pressions exercées par Israël, qui voit les tensions entre les deux pays comme un frein à la normalisation de ses propres relations avec l’Arabie saoudite, relève M. Juneau.

« Il n’y aura pas de normalisation formelle, mais il y a de plus en plus de contacts et de visites informelles », souligne l’analyste, qui voit les accords déjà conclus par Tel-Aviv avec Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Maroc comme une indication de ce qui pourrait se concrétiser sur ce plan.

M. Juneau s’attend par ailleurs à ce que l’amélioration des relations entre Washington et Riyad aide au dénouement de la guerre au Yémen, dans laquelle l’Arabie saoudite joue un rôle de premier plan.

Une trêve de deux mois entre les belligérants vient d’être reconduite, offrant une lueur d’espoir à une population lourdement éprouvée.

Les États-Unis, qui fournissent Riyad en armes, veulent « mettre un terme à la guerre », mais n’étaient pas en position idéale sur le plan diplomatique pour « tenter de convaincre » les dirigeants saoudiens de rechercher un compromis, dit-il.